Grave de Julia Ducournau, c’est un peu ce film inclassable dont le trailer ne t’auras pas dit grand chose mais qui auras néanmoins réussi a attirer ta curiosité.
Et c’est ce film français qui a déjà retourné de nombreux festivals dans le monde entier.
Il sort le 15 mars au cinéma, mais grâce au Comoedia et à sa programmation sans pareille à Lyon j’ai pu le voir en avant-première accompagné d’une salle comble et de sa réalisatrice, Julia Ducournau.
Le pitch de Grave (estampillé « Raw » en anglais, nous y reviendrons) est simple : Justine commence ses études de vétérinaire, faisant suite à sa soeur toujours étudiante et toutes deux issues d’une famille de vétos aimant les animaux. Tout le monde est d’ailleurs végétarien. Justine y découvre en même temps que nous l’univers du bizutage, ainsi que son goût maladif pour la viande…
A la limite de l’horreur, du gore, du drame et du teen-movie, ce film interpelle et possède une vraie force dans sa capacité à vous faire passer très naturellement d’une émotion à une autre.
Rajoutez à cela une photographie ultra léchée, des acteurs inspirés et une double voire triple-lecture pour de nombreuses scènes : vous obtenez un film efficace et ultra pertinent qui tape fort.
Les différentes thématiques se répondent, les métaphores ont du sens, les plans sont esthétiques mais pas vides et la proximité créé avec le spectateur et les différentes émotions et les réactions du corps (désir, envie, dégoût) à l’écran est particulièrement réussie.
Il a d’ailleurs entraîné semble-t-il des réactions épidermiques lors des différents festivals où il a été projeté (comme à Toronto) tout en raflant le grand prix du festival de Gerardmer.
Prenons par exemple l’étiquette Teen-Movie : c’est un peu mon dada, j’aime beaucoup regarder à l’écran les explorations de la découverte du corps et de la sexualité (ce n’est pas par hasard si je m’étais particulièrement intéressée à Larry Clark durant un temps, j’en ai même fait un mémoire, merci à Sciences-Politiques de te permettre de faire ce genre de truc pendant tes études).
Et si de nombreux films s’y attellent, dans Grave, on touche encore à autre chose.
La réalisatrice y développe un discours féministe fort et une prise de position que je n’avais pas souvent vue dans des films mettant en scène des ados : les questions du public en fin de séance n’ont fait que le confirmer.
« Le personnage principal, Justine (la comédienne Garance Marillier), découvre sa sexualité en même temps que sa nature propre. Lorsqu’elle perd sa virginité, j’ai voulu montrer que cette dernière reste seulement l’acte de 2 corps qui recherchent une finalité -l’orgasme- et qu’il ne s’agit pas d’une construction intellectualisé. Je ne sais pas si les hommes se rendent compte, mais la sexualité pour les jeunes filles ( a fortiori la perte de la virginité) est extrêmement intellectualisé : il faut que cela soit le bon, au bon moment, dans les meilleures conditions. J’ai voulu montrer que non, les jeunes femmes ne doivent pas se plier à cette pression sociale et que la sexualité doit rester ce qu’elle est, c’est-à-dire un acte trivial » nous explique la réalisatrice Julia Ducournau.
On ne peut qu’applaudir ce genre de manifeste, tant les pressions sociales restent fortes, malgré l’apparence de société « ultra sexuelle » que l’on nous martèle à toutes les sauces.
C’est en ce sens que j’ai trouvé un vrai écho avec le travail de Larry Clark, qui a toujours choqué le public dans sa démonstration des corps, de la chair et de la sexualité adolescente.
Et pourquoi ce titre « Grave » pour ce film ?
Comme j’étais particulièrement inspirée et que mon mantra Get Some Courage m’accompagne chaque jour, j’ai posé ma petite question dans le petit micro.
« Julia, merci pour ton film, j’ai adoré. Mais j’ai une petite question sur le titre : j’ai qu’en anglais, il s’appelait « Raw » et je trouve ce titre beaucoup plus parlant. Pourrais-tu nous expliquer steup ? »
Pour les non anglophones, raw est un petit adjectif bien intéressant qui peut se référer à la fois au côté « cru » mais aussi à quelque chose qui n’est pas travaillé, qui est « sans fard », mais aussi immature, inexpérimenté. Donc moi, ce titre, je le kiffais tellement, en fait je le trouve plus marketable tout simplement.
Julia m’explique « bon déjà, ce titre c’est le mien, donc je le trouve génial. Mais je vais quand même te fournir un petit argumentaire en 3 points. D’abord, c’est un mot générationnel, qui ancre le film dans son époque. Ensuite, c’est un mot qui est utilisé à tord et à travers et qui en a perdu son sens premier : on dit tous « c’est pas grave » alors que l’on veut tous dire le contraire. Et puis grave, c’est le rappel de la gravité qui pèse sur nous, notre histoire que l’on porte. Certes, tu as raison, raw c’est surement plus simple à saisir et grave est un mot un peu abscons mais cela permet de prendre mieux en compte l’ensemble du film et le personnage principal ».
N’y allez pas pour voir un film d’horreur, un teen-movie ou un drame familial : allez-y pour tout à la fois et surtout pour vous prendre une belle petite claque derrière la tête.
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