Il m’avait dit de le rejoindre dans ce village « complètement paumé » aux tréfonds du Gers, parce qu’il y avait un joli château et un restaurant pas mauvais du tout. Il ne m’en fallait pas plus pour me donner rendez-vous : me voilà donc partie, dans la Panda rouge de ma mère, armée de mon permis presque neuf, pour 40 minutes de route tout de même, à le rejoindre dans le trou du cul du monde. Et je peux vous assurer que lorsque deux gersois disent qu’ils sont actuellement dans le trou du cul du monde, ils savent de quoi ils parlent.
Nous devions avoir peut-être 22 ans, je ne sais plus, plus je vieillis plus les années passent vite, c’est effrayant, et je n’ai pas encore 30 ans.

 

Je me souviens d’un grand soleil, d’une agréable chaleur enveloppante, de mon ami qui m’attendait devant le restaurant, moi, toujours en retard comme à mon habitude. Le temps de garer mon carrosse sur la place du village, je le rejoins enfin et nous nous installons.
Étrangement, il y avait du monde, des touristes estivaux sans aucun doute, c’est aussi ce que nous sommes devenus tous les deux, lui à Paris, moi à Lyon, loin de ceux que l’on appelle amoureusement et en secret « les bouseux ». Souvent, nous en faisions de belles imitations, que seuls certains reconnaîtront, nous nous moquions gentiment : je n’arriverai pas à vous le refaire, seul lui et moi comprenions.
Je me rappelle bizarrement qu’une guêpe était venue me chercher des noises pendant tout le repas et que cela l’avait fait rire. Impossible néanmoins de vous dire ce que j’avais mangé.

 

L’intérêt de ma venue se situait ailleurs, vers ce château incroyable et totalement inaccessible qui trônait au centre du village. Lui, connaisseur, m’explique que l’on pourrait y rentrer sans problème, en passant au travers d’une haie. Moi froussarde, mais poussée par le goût du risque, je le suis. Nous traversons le cimetière, accolé au château, nous nous faufilons dans les broussailles et nous voici enfin dans les jardins du château, énormes, sauvages, laissés à demi à l’abandon. Nous nous sentons privilégiés, nous faisons le tour du propriétaire, nous nous imaginons mille et une histoire, y’a-t-il des chiens, des caméras ? Il me dit qu’il aimerait bien faire un spectacle ici, lui est comédien, exalté « PD oui, mais pas folle tu sais ! ».
Je me souviens toujours d’un grand soleil et d’une chaleur qui appuie sur ma tête, sur mes épaules. Ce jardin un peu dingue, ces arbres centenaires. Nos rires et nos histoires. Sa voix.

 

Pas assez fous pour entrer par effraction, nous nous éloignons ensuite de notre propriété privée d’un jour. Je le ramène chez lui, il n’a pas le permis. Nous mettons la radio, et je conduis n’importe comment.

 

Je n’ai jamais pu retrouver de photo de cette journée.
Et jusqu’à cette année 2017, j’en avais même oublié le nom de ce petit village où se situait ce château et cela me triturait l’esprit. Sans savoir pourquoi, je ne lui avais jamais demandé, comme si cela n’avait pas vraiment d’importance. Je m’étais faite à l’idée.

Et puis comme toujours la vie, facétieuse, te rapproche de quelqu’un qui, pour une raison inconnue va justement te faire remonter ce souvenir oublié, justement à ce moment là, ce moment où tu ne voulais pas. Au détour d’une conversation sans importance, avec cette personne que peut-être tu ne reverras plus.

« Ah mais oui, mais c’est le château de Saint-Blancard, dans le Gers ! »
Oui c’est ça. Exactement cela.

C’est dingue.

Il faut que je lui dise.
Que je lui fasse un email pour lui en parler.
Je dirai « bonjour mon petit chat », il répondra « bonjour Joustine à la confiture » et on mettra des smileys par milliers. Il me demandera de modifier son « site chéri », moi sa « webmastrice préférée » pour rajouter de nouveaux portraits photo de lui, ou de nouvelles dates pour son prochain spectacle.

 

J’efface cette idée de mon esprit après une nanoseconde de réflexion. Je la roule mentalement entre mes doigts, je la triture violemment, je l’écrase pour la faire disparaître.

Quelle idée de con.

J’aurais du lui demander avant. On aurait même du y revenir et y entrer par effraction.
Mais aujourd’hui, sans toi, ça n’aurait vraiment plus de sens, non ?
Peut-être que j’essaierai et que je chercherai un signe. A défaut de pouvoir désormais t’en parler.
J’y reviendrai et je penserai à toi en plongeant mes yeux dans un ciel d’été trop bleu. Tu seras partout.

 

Je ne pensais pas publier cela, mais c’est ma manière à moi de vivre, comme tant d’autres, un sentiment que l’humanité partage depuis la nuit des temps. C’est comme ça que mon année 2017 a démarré.

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