Cela fait maintenant un peu plus de 10 ans que j’habite à Lyon, plus d’un tiers de ma vie en fait, ce qui parait dingue en le disant.
Et si je pense avoir à peu près intégré les codes de la vie citadine, je pense que je serai toujours en décalage, moi la pignouf de la campagne.
Un pied sur le trottoir, un pied dans la boue, je suis probablement atteinte d’une schizophrénie que beaucoup de mes contemporains vivent.

 

Crédit : le talentueux Louis Dazy

 

Il y a venir de la campagne et venir de la campagne. Genre, d’un côté, la nana qui vient d’un petit bled de la grande banlieue lyonnaise ou toulousaine ou même parisienne,  45 minutes de TER, qui allait à la grand ville 3 ou 4 fois par mois avec sa mère ou ses copines pour faire les magasins, voir une expo, manger au resto. La campagnarde qui se fond dans la masse, qui connait les codes.

Et puis il y a l’autre. La campagnarde pur jus. Celle qui habite à des kilomètres de toute civilisation, qui vit 18 ans dans le même bled avec les mêmes voisins, qui, quand elle sort sur la terrasse de sa maison familiale a : des champs à gauche, des champs devant et sa grand-mère à droite. Le voisin a des moutons, je leur donne des prénoms, et je passe mon temps libre littéralement dans la paille à me faire des cabanes. Parfois, on va à la pêche avec mon père, je déteste les asticots ou sinon on ramasse des champignons en famille.
Autour de chez moi y’a pas de barrière, pas de portail, pas de digicode, ma maison est une ancienne étable et dans notre terrain il y des arbres centenaires et une mare. Le facteur connait personnellement mes parents. D’ailleurs, ils n’ont pas d’adresse avec une rue et un numéro, ils ont un lieu-dit. J’habite un lieu-dit, vous vous figurez le truc ?

La ruralité peut avoir un petit côté bucolique pour les vacances.
Mais quand tu as 18 ans, que tu n’a connu que les bois, la boue, les vaches et le purin, c’est juste le truc qui t’écœure à un niveau inimaginable. Pour toi, la petite campagnarde, dans l’imagerie collective et citadine, c’est juste la pauvre meuf avec des couettes qui sait pas lire un livre sans image et qui va faire 4 enfants avec un agriculteur sans le sou. Et t’as juste peur que tout le monde transpose cette image sur toi.

 

Donc toi, tu t’enfuis.
Etre une fille de la campagne, à 18 ans, c’est parfois, en tout cas, ce fut pour moi, renier absolument, totalement, ce que j’étais. Cela symbolisait en fait tout ce que je ne voulais pas être. Et j’avais même un peu honte.

Arrivée à Lyon, je pense que j’ai tout fait ou presque pour faire oublier d’où je venais. J’étais une feuille blanche, une espèce de meuf en clair-obscur que je pouvais dessiner à l’envi, je pouvais refaire ma petite histoire, m’inventer de nouvelles habitudes. Sans pour autant mentir sur mes origines, j’essayais, inconsciemment, de changer ma façon de parler, de m’habiller, de marcher même, tous ces petits gestes du quotidien que je travestissais pour me reconstruire comme j’en avais envie.

La petite meuf lyonnaise.

J’en bavais, j’aurais voulu naître dans un grand hôpital, grandir entre plusieurs immeubles haussmannien, aller voir des expositions d’art contemporain avec ma mère, faire les boutiques avenue de Saxe, boire un thé dans un petit café chic avec mes parents, aller au collège et au lycée dans de jolis établissements lyonnais, connaitre les lieux à la mode, bien prononcer JAUNE, SAÔNE et ROSE. Pas comme une campagnarde du Gers. Mais comme une petite meuf du 69006.
J’enviais ce petit côté bourgeoise et j’en ai côtoyé des tas à la fac de Lyon 3, vous imaginez bien (tous les clichés sont vrais, croyez-moi).

Les années ont passé et j’ai finalement l’impression que la schizophrénie me guette alors que j’avais tout fait pour me construire une belle identité.
Finalement trop bouseuse pour être une petite lyonnaise.
Finalement trop urbaine pour me fondre à la campagne.

Où que je sois, il y a toujours une infime partie de moi qui n’est pas tellement à sa place. A la vue des immeubles, du haut de mon 7ème étage, j’ai des envies cruelles de grands espaces et d’odeurs de sous-bois. Et dans mon patelin, de retour chez mes parents, j’enrage de ne pas pouvoir manger un putain de vrai japonais ou de pouvoir aller voir le film que je souhaite quand je le veux et en VOSTFR.

 

Alors oui, depuis 10 ans, la ville m’a aspiré et je pense qu’elle restera celle où je voudrais toujours me perdre. Mais comme un animal sauvage, je ressens parfois l’appel de la forêt.
A une époque sombre où les étrangers sont souvent montrés du doigt, on peut finalement se dire que nous sommes tous, d’une certaine façon, des étrangers nous-mêmes dans le cercle social où nous souhaitons nous fondre.
Et ça remet un peu les pendules à l’heure, non ?

 

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