Je ne voulais absolument pas écrire sur ça. Sur ÇA. D’abord parce que tout a été dit, aussi parce que je n’ai absolument pas été touchée personnellement (seulement des « je connais des gens qui connaissent ») et surtout parce que je ne voulais pas polémiquer sur des choses qui nous dépassent en disant des poncifs dont on a , je crois, bien assez soupé.

Malgré cela,  les jours ont passé et contrairement au mois de janvier, ma vie a changé.

Je vous le dit sans y mettre les formes : pour la première fois de ma vie, j’ai peur dans le métro. Je pensais d’abord que cela ne durerait pas.

Mais tout à l’heure, ma petite ligne D chérie s’est arrêtée à Monplaisir. Le trafic ne reprenait pas, je lisais Gérard Collomb dans Tribune de Lyon et ça parlait des attentats. J’ai tourné la page, on m’a parlé entrepreneuriat mais l’anxiété n’est pas redescendue.

Avant le 13 novembre, j’aurais attendu bêtement dans cette rame vide et ouverte, la flemme immense de marcher quelques stations ou de prendre un petit vélo’v sur moins de 2 kilomètres.

Aujourd’hui, je n’ai quasiment pas réfléchis et j’ai été amenée, la peur me tenant par le bras, jusqu’à l’escalator de sortie, puis jusqu’à la station velo’v. Et j’ai roulé bêtement dans le froid, en priant pour ne pas me faire aplatir par un automobiliste zélé parce qu’un velo’v c’est quand même lourd et peu maniable et que j’ai plus de chance de mourir dans un accident de la circulation que dans un attentat dans le métro (faut être rationnel deux minutes).

Artiste : Henn Kim https://www.instagram.com/henn_kim/
Artiste : Henn Kim 

 

J’ai tellement lu depuis ces quelques jours. J’ai essayé de comprendre cette organisation, j’ai essayé de voir un peu plus loin, je n’ai pas changé mon image de profil parce que je ne peux pas concevoir que l’on puisse avoir la fierté du drapeau parce que des concitoyens meurent et aussi parce que je déteste me sentir obligée de faire quelque chose donc par esprit de contradiction je ne le fais pas.

J’ai aussi beaucoup râlé.
Râlé devant cet impératif, cette injonction de courage que je voyais partout.
Il faut être fort, il faut leur dire d’aller bien se faire foutre, aller, tous en terrasse pour bien leur mettre la misère, sans parler de la fête des Lumières, ne plions pas devant la terreur et faisons la révolution en buvant des canons et en se serrant comme des cons sur la place des Terreaux un 8 décembre.

Sauf que.
Moi j’ai la frousse.
Moi je n’ai pas du tout envie de faire la révolution comme ça et au fond je n’y crois pas.
Je n’ai pas envie de me forcer à être courageuse en ne changeant absolument aucune habitude.
J’ai peur et je sais que cet événement nous a tous fondamentalement changé et que rien ne sera définitivement comme avant. Ce n’est pas foncièrement négatif, c’est simplement « différent ». Je ne dis pas que nous serons moins heureux, je pense simplement que nous ne pouvons pas faire comme si cet événement n’avait pas changé la face du monde. Les semaines qui arrivent parleront pour moi mais vraisemblablement, une nouvelle ère est là. Comme ma grand-mère qui me parlait de la seconde guerre mondiale, on parlera surement de ça à nos petits-enfants. J’espère néanmoins ne pas arriver jusqu’aux tickets de rationnement.

Je ne me prive pas de liberté en sortant du métro en Monplaisir et en me laissant mener par cette peur un brin animale. Je sors juste de mon petit confort bien installé. Je redécouvre le vélo, je redécouvre le ciel du matin, je redécouvre les apéros à la maison, je prends conscience du monde autour de moi. Je n’ai pas l’impression de plier devant quelqu’un mais je ne peux pas, d’un autre côté, nier totalement cette peur : je fais avec et malgré tout, j’ai déjà changé.
Ma liberté, ma liberté chérie, elle n’existe pas sans renoncement, nous en faisons tous l’expérience, chaque jour, nul besoin de Daech pour ça. Et ce n’est pas être lâche ou désabusé que de s’y contraindre, ne serait-ce qu’un peu, ne serait-ce qu’un temps, pour éviter de se faire écraser par une foule délirante ou de vivre un moment de stress supplémentaire et franchement pas nécessaire.

On m’a dit que c’était courageux d’avouer ses propres peurs : disons alors que l’on est tous braves, comme on peut et chacun à sa façon.

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