S’il y a bien quelque chose qui peut te bouffer 6 mois de ta vie, c’est passer des concours. Notamment ceux des écoles de journalisme. Parce que tu t’étais promis, le jour de tes 12 ans -ton chat, ton journal intime et tes posters pour témoins- que tu ferais ce noble métier. Les résultats sont maintenant tous tombés, c’était l’occasion de revenir un peu en arrière sur mon expérience.

Le choix est souvent ancien, la décision mûrie. Une chose innée, qui te transcende : c’est d’ailleurs une question à laquelle tu ne pourras pas échapper «  et sinon, pourquoi vous voulez faire ce métier ? »

Comme la plupart, j’ai commencé mon chemin de croix en janvier, tout en révisant mes partiels. L’actualité. Ficher l’actu, cela consiste à lire Le Monde ou Libération, parfois La Croix, Les Echos, Le Figaro, et noter tout ce qui semble important. Plus concrètement, tout ce qui serait susceptible de tomber aux concours. C’est là où il faut se mettre à la place des examinateurs et comprendre leurs vices. Car c’est au final rarement un exercice d’intelligence. Plutôt du bachotage, la doucereuse impression d’être un petit  rat de laboratoire à qui l’on demanderait d’apprendre des suites de noms et de lieux par cœur. Ce qui n’est pas pour me déplaire si l’on voit ça comme un défi sportif. Entendez par là : repousser ses propres limites sans trop bien savoir pourquoi (un peu comme quand tu cours 20 minutes et que tu es fier comme pas deux alors que tu n’as couru pour rien, sur un tapis, et que tu as juste envie de vomir tes tripes).

Le challenge. Le mec qui a inventé ce concept devait être un ponte du management. Si quelqu’un le connait, il n’hésitera pas à le remercier amicalement.
Le challenge donc. Il faut l’apprécier pour non seulement lire tous les jours des journaux à t’en bousiller les yeux (Le Monde, je te respecte, mais ta maquette m’a fait perdre 0,3 à chaque œil) tout en fichant, c’est-à-dire en recopiant les infos qui seraient susceptibles de tomber. Un gouffre de temps.

L’abrutissement est presque total. A côté de ça, chaque école à son lot d’épreuves types particulières, je ne vais pas te rappeler tout ça. Pour ma part, seulement l’Ijba (Bordeaux) et le Cuej (Strasbourg), pour le côté gratuit-provincial et ville coolos. (Enfin, Strasbourg, j’ai revu la copie, l’impression d’être dans un village médiéval est juste suffocant pour moi.) Pas de parisiennes donc, ni la lilloise. Je refuse la hype.

Pour réussir, j’en suis venue à la conclusion qu’il faut simplement se mettre à la place du correcteur. Rentrer dans sa petite tête de journaleux pour comprendre ce qu’il attend. Et être méthodique. Le Maghreb chauffe ? BOUM apprend par cœur toutes les frontières. Tu finis avec des dizaines de fichiers .doc qui retracent 5 mois de news en tout genre, mais aussi tout ce qui peut se rattacher de près ou de loin à ces informations. Les frontières donc,  les dirigeants des grandes entreprises, la signification des divers acronymes. Avec un peu de chance, tu replaceras 1/3000 de ce que tu as appris durant ces longues semaines. Ou tu suffoqueras  comme un pauvre diable en regardant ta tension monter.

Un peu d’écriture pour prendre du plaisir au milieu de ce sado-masochisme ambiant, et la journée est finie. 900 autres ont cru, eux aussi, que c’était possible. Seulement une petite cinquantaine (ou plus si l’on est tatillon, sachant que la plupart passent 5 ou 6 concours, voire la totalité des 13 formations reconnues) avaient réellement raison.

Quand tu rentres, la question revient, lancinante ; mais finalement, pourquoi ?  Tu repenses à cette promesse de gamine prépubère (ou presque, je ne connais pas le strict déroulement de votre développement sexuel) qui a cru, un jour, que le travail se résumait à un mot qui va bien, à placer dans toutes sortes de cérémonies sociales. Et que, contrairement à « artiste incompris », la chose pouvait être rémunératrice, du moins salariée. Probablement un mauvais argumentaire quand, à 22 ans, tu te retrouves devant un jury pour ton oral. Là, plus de mensonges : avec ses yeux multiples, le jury te perce rapidement au jour, malgré ta préparation. Tu avais cherché ton journaliste préféré, tes lectures quotidiennes, ton argumentaire sur ton envie de faire ce métier. Et on te désarçonne en quelques secondes, avec une question qui tâche, ou un regard franchement interrogatif.

Pour ceux qui sont sûrs de leur projet, cela peut marcher. Pour les autres, retournez chez vos mères. Vous pourrez retenter l’année prochaine si le cœur vous en dit.

Journalism Huskie by Jenw2012 on Flickr

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