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Vous avez reconnu « Venus of the Rags » de Michelangelo Pistoletto ?

 

Alors que les soldes d’été ont démarré, les questions autour d’une « consommation consciente de la mode » ont toutes leurs raisons d’être de plus en plus présentes dans nos esprits.
Je fais partie de ceux qui se sont d’abord interrogé sur leur consommation alimentaire, pour qu’elle soit plus en phase avec mes convictions (plus de bio, du circuit court, moins de viande, des produits peu ou pas transformés et le choix de marques moins industrielles).

Mais, mais, et concernant la Mode alors ? Cet empire incroyable qui me fascine depuis toujours, ce mélange de création pure et de marché ultra lucratif, ce monde attractif et distrayant, ces blogs de mode envoûtants, ces campagnes de communication passionnantes, ces shootings photos arty, ces tendances à suivre ou à deviner ? Allons nous là aussi consommer de plus en plus responsable ? Serions nous en train de vivre des changements importants dans cette industrie ultra lucrative ? Entre Gap qui s’écroule, la fast fashion (Zara et H&M en tête) qui démultiplient leur chiffre d’affaires, on en est où réellement ?

Cet article a commencé à partir d’un fait que j’ai trouvé particulièrement éloquent : l’annonce de la fermeture de presque 200 magasins GAP aux USA, suite à de très mauvais résultats.
Et si les marques de moyenne gamme étaient en train de disparaître face à une polarisation du marché de la mode, dominé par le Fast Fashion d’un côté et le luxe de l’autre ? Et si les consommateurs étaient en train de prendre conscience qu’ils ont été assez pris pour des cons ?

Oui. Je me suis posée pas mal de questions.

 

Quelques chiffres sur le marché de la mode pour prendre un peu de recul

 

Aujourd’hui, le marché de la Mode pèse lourd, très lourd : selon l’OMC, le marché du textile (regroupant habillement mais aussi textile d’ameublement par exemple) s’élève à 766 milliards de dollars US exportés, c’est à dire pratiquement le PIB de l’Arabie Saoudite !

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Nos vêtements, transitant dans le monde entier, proviennent souvent bien évidemment de la Chine, qui reste le numéro Uno pour la fabrication de vêtements : 39% des vêtements du monde sont en effet produits dans la République Populaire (Source : Textile.fr, selon des chiffres de l’OMC)

Pour la France, en 2014, ce sont 28,3 milliards d’euros qui ont été dépensés en habillement (Source : Observatoire économique de l’IFM). Énorme pour 64 millions de français, non ?

 

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Et bien évidemment, outre le fait que le marché soit détenu par de grands groupes qui ne sont pas là pour cueillir des pâquerettes (au choix Inditex détenant Zara, H&M ou encore le groupe Vivarte qui détient Kookaï et Minelli) derrière, rien n’est pensé ou fabriqué pour les consommateurs. Il s’agit de vendre et donc de créer le besoin, le plus souvent possible.

D’ailleurs, n’avez-vous jamais eu l’impression que vos vêtements avaient une véritable obsolescence programmée ? Pire, qu’ils se foutaient juste de votre gueule en se déformant après 3 lavages ?

 

Le vêtement à obsolescence programmée : ça vous parait une bonne idée ?

 

J’ai connu le basculement vers la production délocalisée et la baisse de qualité directement (ou indirectement c’est selon) : j’ai passé toute mon enfance dans le magasin indépendant de vêtements où travaillait ma mère et j’y ai développé à la fois l’amour des vêtements, mais aussi l’amour de la qualité des tissus et des choses bien faites. Je suis très sensible à un tombé parfait, un tissu de qualité qui se ressent en quelques secondes ou de finitions parfaites, sans un fil qui dépasse.

 

Source image : Petra Švajger https://www.behance.net/petra_svajger
Source image : Petra Švajger https://www.behance.net/petra_svajger

C’est pour cela que je me sentais parfois un brin désœuvrée face à des copines qui ne comprenait pas que je pouvais n’acheter qu’une seule pièce mais de bonne qualité, alors que l’antre d’H&M, Mango et consorts me permettaient avec le même budget d’acheter 10 fois plus de vêtements !

Sauf que.

A la fin des années 2000, le constat était sans appel. Toutes les grandes marques qui avaient répondu aux sirènes des marchés étrangers étaient dans la même optique : produire moins cher, donc moins bien (qualité et coupes souvent bien dégueulasses), en baissant certes les prix mais tout de même en augmentant drastiquement leurs marges. Si si je vous assure : les marges sont énormes, grâce à des productions en quantité astronomiques, des travailleurs sous-payés et des tissus de piètre qualité (donc moins cher).

 

On en est arrivé à une situation navrante : soit vous achetiez de la vraie merde à bas prix dans les enseignes discount, soit vous achetiez de la semi-merde, à un prix franchement indécent pour une qualité semi-médiocre.

Et on s’y est habitués, à changer de fringues bien plus souvent qu’avant, à ne garder des pièces que 2 ou 3 saisons. On en est arrivé à trouver cela normal, de faire des trous dans nos tee-shirt en quelques mois, parce que de toute façon, ils coûtaient seulement 10 €.

Mais les consommateurs ne sont pas dupes, même s’il leur faut du temps. Pourquoi diable un manteau acheté 130 € ne dure que 2 hivers ? Pourquoi consommer sans réfléchir alors que les faits (pollution, esclavage moderne des pays en développement) sont là, si cruels, si vivants, si proches et si accessibles ? Si un tee-shirt qui ne vaut que 10 € et que les entreprises textile continuent de faire de la marge, c’est qu’il y a un gros souci non ?

Source : https://www.flickr.com/photos/maistora/
Source : https://www.flickr.com/photos/maistora/

 

Le marché de la mode semble être en train de se modifier de l’intérieur.
Pas pour le marché du luxe qui reste pour moi un marché totalement à part (constitué à la fois de l’habillement, mais aussi de la joaillerie, du parfum, des cosmétiques, de la bagagerie et de tout un imaginaire très complexe qui font de lui un monde très spécifique).

Mais plutôt pour les marques de moyenne gamme, ces marques sur lesquelles nous nous jetons en premier lors des soldes. Certains faits, récents, tendent à prouver que le marché de la mode se modifie, et viendra peut-être bousculer nos idées reçues si longuement ancrées.

 

 

Un marché polarisé : du luxe qui cartonne, du fast fashion aux revenus encore extravagants mais une moyenne gamme comme Gap… qui perd pied.

 

Récemment, la marque GAP a annoncé qu’elle allait fermer 175 de ses  675 boutiques aux Etats-Unis, ainsi que de nombreuses boutiques en Europe. Avec une baisse de 10% de ses ventes sur la dernière année, après déjà -5% de ventes en 2013, GAP a du mal à sortir la tête de l’eau : ni capable de suivre les tendances aussi vite que ses consœurs H&m et Zara mais pas capable non plus d’offrir des vêtements de qualité et bien coupés, les difficultés pleuvent.

 

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Et ce qui est intéressant, c’est que la marque avait tenté de se relever, il y a quelques années, justement en utilisant les codes du fast fashion : outre ses classiques indémodables, elle avait embauché depuis 2011 de nouveaux stylistes, pour renouveler plus rapidement ses collections pour coller aux tendances et avait multiplié son budget de communication, passant de 26 millions à 40 millions entre 2011 et 2012.

Malheureusement, cela n’a pas suffit. Gap tente tant bien que mal de panser la plaie en fermant des boutiques et en licenciant, pour éponger le manque à gagner. Le signe que les lignes de moyenne gamme, qui ont du mal à suivre coûte que coûte les tendances contrairement aux magasins de fast fashion, doivent remettre en question leur façon de travailler pour séduire à nouveau des clients difficiles, qui n’ont aucun mal à se tourner vers des vêtements  classiques mais de meilleure qualité.

Pour aller plus loin sur le sujet : http://nymag.com/thecut/2015/06/heres-why-gap-is-closing-so-many-stores.html

 

 

En France, c’est le groupe Vivarte qui a annoncé en avril un plan social où 1600 emplois seront supprimés. Détenant des marques comme André, Minelli, Kookaï ou La Halle, le groupe avait tenté un nouveau positionnement pour cette dernière, en rentrant dans une logique de fast fashion (plus de modèles, des cycles plus courts pour mieux suivre les dernières tendances) mais avec des prix plus élevés pour séduire une autre clientèle : un positionnement qui a malheureusement totalement faillit.
Le moyen-gamme a du souci à se faire.

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Seul le fast-fashion semble encore s’acccrocher : le groupe Inditex, et sa locomotive Zara, qui porte pour 2/3 du chiffre d’affaires global, possède un CA de 18 milliards d’euros, contre 11 milliards en 2011. Une augmentation exponentielle qui montre encore aujourd’hui l’intérêt très fort des consommateurs (et consommatrices) pour ces lignes au renouvellement ultra rapide, toujours en écho aux défilés et aux grandes prétresses de la mode (blogueuses et fashionistas).

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Montage photo de qualité avec des dollars bien détourés

 

Et c’est justement là toute l’ambiguïté de la situation : consommateurs responsables ? Pas trop tout de même.

 

 

Des consommateurs de plus en plus conscients et responsables… ? On va essayer d’essayer !

 

Il n’est pas difficile d’être franchement dégoûté par la façon dont ce marché s’est transformé. Produire toujours plus, nous matraquer toujours plus (coucou je travaille dans la communication, mais je n’ai pas de problème pour dormir, suis-je schizophrène ? Vous avez 3 heures), faire les sempiternelles mêmes opérations blogueurs pour mettre en avant des produits qui se démodent en 3 semaines (oui, oui je vous parle de ce putain de maillot de bain en néoprène fluo, ça vous fait pas chier que tout le monde ai le même à la piscine durant juillet et août 2015, non ?).

Les documentaires pleuvent sur les productions insupportables du Bangladesh ou du Cambodge, entre autres.

Le dernier en date ? The True Cost, qui a été projeté à Cannes il y a quelques semaines, et qui présente sans artifices (mais avec un certain sens esthétique, vous regarderez le trailer) ce qu’est aujourd’hui la supply chain de l’habillement à l’échelle mondialisée : de la misère, toujours, des accidents, des morts, des vies gâchées et un environnement le plus souvent ultra pollué par les nombreux produits chimiques de l’industrie textile.

Né d’une campagne Kickstarter, ce documentaire mené par Andrew Morgan (réalisateur) et Livia Firth (productrice exécutive) est le voyage d’un homme qui s’est tout simplement demandé comment fonctionnait aujourd’hui le marché du fast fashion et l’industrie de la mode en général. Et le résultat est vraiment intéressant à regarder.

 

 

Pour aller plus loin sur le sujethttp://blogs.wsj.com/speakeasy/2015/05/29/fashion-documentary-exposes-environmental-and-human-costs-of-those-8-jeans/

 

Mais attention, je ne suis pas dupe : de la même façon qu’il est facile de fermer les yeux sur les circuits de production de viande, il est très facile de fermer les yeux sur le « coût véritable » de ce super jean qui vous fait de supers fesses. Il est facile de se laisser berner et de porter des œillères: d’ailleurs le pire et c’est bien la plus grand souci des marques de moyennes gammes, c’est que l’on attend tous les soldes pour dépenser. Les marques cassent les prix, de plus en plus, et on oublie qu’un vêtement, comme une pomme, comme un livre, comme de la musique, cela ne peut pas éternellement nous être offert.

Comme pour l’industrie culturelle, nous en avons oublié le véritable coût et nous nous cachons, moi la première, derrière nos illusions.

Mais comme un repas fait à la va-vite pour 4 euros ne peut absolument pas être un bon repas, ni pour celui qui le mange, ni pour celui qui le fabrique, ni pour celui qui produit les matières premières, alors non, un tee-shirt à 4 euros ne peut absolument pas être bon pour moi, ni bon pour celui qui le fabrique, ni bon pour celui qui produit le coton dont il se compose.

C’est une réflexion simple, pragmatique, qui a pourtant du mal à passer tant l’industrie et les systèmes de communication sont rodés. L’idée n’est pas, de mon point de vue, de s’habiller exclusivement en vêtements de seconde main ou de dire non à la mode. L’idée est simplement d’être plus malin que le système, de ne plus consommer de façon outrancière comme nous le faisions pour tout à une époque et de réfléchir aux conséquences de nos achats, aussi petits soient-ils.

Se faire plaisir, peut-être moins souvent, mais différemment. Retrouver le goût des jolies choses, quitte à y prêter plus attention et à attendre plus longtemps avant de succomber.
Et ce n’est pas ma dernière paire de sandales Sézane (fabriquée au Portugal) qui viendra vous dire le contraire.

Coucou mes petites amies from Sézane, je vous aime d’un amour sincère, bienvenue à mes pieds ( Cc @sezane)

Une photo publiée par Justeunedose By Justine (@justeunedose) le

 

 

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